De temps en temps, afin de mettre en avant une neutralité de pacotille, le journal Le Monde publie quelques articles iconoclastes et décalés avec la bien pensance en vogue. Tzvetan Todorov, illustre la concordance entre la diffusion des idées libérales et la (re)naissance de la démocratie. L'article n'est pas bien écrit, les exemples sont mal choisis et l'auteur, impudique, n'hésite pas à exhiber ses incohérences et son manque de culture.
Ainsi, illustrer une menace sur la démocratie en évoquant le "népotisme" de Sarkozy, personnellement, "ça m'en touche une sans faire bouger l'autre" comme disait un autre Grand Démocrate. Que Jean Sakozy soit à la tête d'un obscur organisme dont je n'avais jamais entendu parler, je m'en contrefout. Lui ou un autre, quelle différence? Ce n'est qu'une querelle de charognards, de mafieux se disputant le grisbi.

...Cette exigence impose d'abord aux dirigeants politiques une hygiène morale. Leur pouvoir et leur visibilité ont comme contrepartie des obligations plus strictes que celles des citoyens ordinaires : leur conduite doit être exemplaire

Mais bien sûr. L'élu n'est pas un être ordinaire, c'est un saint aux pouvoirs exceptionnels.
Le libéralisme, est une philosophie du Droit. Pas un conte pour enfant. Sa force, sa cohérence, c'est de prendre pleinement en compte la nature humaine. Un élu, quel qu'il soit ne sera jamais exemplaire, ce n'est qu'un Homme. Quels que soient les contre-pouvoirs en place, ils ne sont qu'illusion et poudre aux yeux destinés à légitimer le pouvoir et la coercition associée. Du "droit divin" au "droit du peuple" la démocratie nous a apporté l'illusoire droit de choisir notre maître. Nous avons tous pu constater que le système de fraudes de Martine Aubry était bien plus élaboré que celui de sa rivale, Ségolène Royal. Je suis impatient d'assister à la revanche qui nous promet un savoureux spectacle digne des plus Grandes Démocraties moyennes-orientales.

Todorov, après nous avoir -sans le vouloir- démontré que les dérives du pouvoir, si elles sont à combattre, sont inévitables, s'emploie à tirer à boulet rouge sur l'ultralibéralisme

qui ne laisse aucune place pour le pouvoir politique, qui est pourtant responsable du bien commun.

Mais si le pouvoir politique est, par la nature des individus qui en disposent, nuisible aux libertés, pourquoi faudrait-il lui laisser une place?
Qu'est-ce que le "bien commun"? Je suis bien incapable de répondre autrement que par une évidence: le bien commun désigne ce que le pouvoir politique nous impose. Infrastructure, institutions, systèmes sociaux, etc. Comme le démontre Todorov, le politique étant nécessairement corrompu, l'adhésion des individus au système n'est pas automatique, elle passe forcément par la coercition. Par conséquent, l'Etat impose à tous de participer à un système qui ne conviendra à personne sauf à ceux qui tirent les ficelles. Les gens qui, un manche à balais dans le cul, l'air hautain et condescendant, citent Churchill:

La démocratie est le plus mauvais système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire.

sont soit des salopards, soit des imbéciles, idiots utiles des politocards qui manient la baguette.

les acteurs de la vie économique échappent au contrôle des gouvernements locaux : à la première entrave, l'entreprise multinationale déplace ses usines dans un pays plus accueillant

Dois-je comprendre que des murs doivent être érigés afin d'empêcher les individus d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs? La concurrence entre système politique est-elle mauvaise? Curieuse réflexion de la part de quelqu'un qui tente de réhabiliter les idées libérales.

Alors que celle-ci (la pensée libérale classique) respecte et défend la pluralité des forces et des principes à l'oeuvre dans un pays, l'ultralibéralisme est un monisme, il prône la soumission de la société à une force unique, celle du marché illimité. Partant d'un postulat anthropologique fantaisiste, selon lequel l'individu se suffit à lui-même, et réduisant ledit individu à un animal aux besoins exclusivement économiques, l'ultralibéralisme ne laisse aucune place pour le pouvoir politique, qui est pourtant responsable du bien commun.


Ce qui est fantaisiste, c'est cette définition de "l'ultralibéralisme", épouvantail que l'on brandit tel un croquemitaine représentant le côté obscur de la nature humaine.
Qu'est-ce que l'ultralibéralisme? A priori cela semble désigner le libéralisme orthodoxe qui consiste à pousser le raisonnement jusqu'au bout: si l'individu ne sait pas ce qui est bon pour lui-même comment quelqu'un pourrait savoir ce qui est bon pour autrui? Pourtant, en abandonnant notre liberté à un pouvoir quelconque, c'est bien à cette incohérence que nous cédons.

L'ultralibéralisme, appelé le libertarisme consiste à s'occuper de soi sans emmerder les autres. Rien à voir avec un quelconque fantasme de "soumission de la société à la force du marché illimité". Cette phrase ne veut rien dire; le marché n'est pas une entité malfaisante, c'est l'ensemble des échanges entre les individus. En allant acheter une baguette de pain, nous échangeons avec le boulanger, nous participons ainsi au marché. Pourquoi quelqu'un devrait-il nous imposer quoi que ce soit dans cet échange? N'est-ce pas une atteinte à notre liberté? Notons que l'échange ne concerne pas exclusivement un "besoin économique", avec mon boulanger j'échange aussi un sourire, un bonjour, un au revoir, merci, etc.

Ainsi Todorov nous a torché un poncif anti-libéral totalement incohérent et qui au final ne veut strictement rien dire. En effet, si l'ultralibéralisme prône le "marché illimité", c'est à dire des échanges libres entre des individus libres, comment est-ce possible d'affirmer quelques mots plus loin que pour l'ultralibéral, "l'individu se suffit à lui-même"? Pour un libéral orthodoxe, l'individu est le seul à savoir ce qui est bon pour lui. Le libre arbitre est une notion fondamentale du libéralisme, l'individu doit être libre et responsable de ses choix. Au contraire de ce qu'affirme Todorov, quand un individu est libre de ses choix et de ses actes, il a fondamentalement besoin d'autrui et il multiplie volontairement les échanges. La vision inverse, collectiviste, est celle de l'individu partie intégrante d'une société sous contrôle. Seul, l'individu ne peut rien mais surtout il est incapable de nouer des liens et d'échanger de manière efficace. Il faut donc lui imposer par la force une manière d'échanger. Exit la liberté.

Souvent j'entends dire qu'entre les deux visions, collectiviste ou ultralibérale, il existe certainement une position intermédiaire. Penser cela, c'est partir du postulat faux que l'ultralibéralisme c'est la "liberté du renard libre dans un poulailler libre", c'est à dire la capacité du plus fort à écraser les plus faible. N'est-ce pas exactement ce qui se passe dans une société arbitrairement régulée telle que nous la connaissons aujourd'hui? Qui sont les plus forts sinon les Hommes de l'Etat? Or nous avons vu plus haut que le pouvoir corrompt toujours.

"La liberté des uns s'arrête où commence celle des autres". Tout le monde est d'accord avec cette phrase mais peu de personnes se posent la question de savoir où sont les frontières de notre liberté. Où commence la votre et où s'arrête la mienne? Si cette frontière est fixée arbitrairement, par des régulations pondues par quelques politocards, alors, par définition, la liberté n'existe plus. Pour la philosophie libérale, la frontière, c'est la propriété privée, à commencer par celle de soi-même, celle de son corps. Ainsi la fameuse maxime devient: "La propriété des uns s'arrête où commence celle des autres". La phrase devient subitement beaucoup plus claire.

Ainsi l'article se veut iconoclaste en exposant des idées libérales surranées et honnies mais il les pervertit en accumulant les poncifs les plus éculés sur cette philosophie issue des Lumières.

Cependant, après réflexion, je me demande si au contraire, cet article n'est pas une perle, une astucieuse propagande de réhabilitation du libéralisme en France. En égratignant Sarkozy, en évoquant les travers du pouvoirs, en citant quelques auteurs libéraux célèbres ayant déjà brillamment dénoncé cela, en jetant l'opprobre sur "l'ultralibéralisme" cause de tous nos maux, l'auteur distille malgré tout l'idée de liberté dans l'esprit du lecteur, prompt à la rejeter par réflexe pavlovnien généré par des années de propagande collectiviste, meilleure alliée du pouvoir. Foin de "droite" ou de "gauche", ce sont deux branches pourries permettant d'accéder au pouvoir. Pour la gauche, la propriété privée n'existe pas, pour la droite, la propriété privée est un privilège. Ces deux visions mènent à la servitude.

Merci à Jabial  ;-)